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Stendhal

samedi 22 septembre 2007

Liberté d'expression et devoir de réserve: la problématique du blog du fonctionnaire

La question, qui est probablement un classique des dissertations de droit public, repose sur une tension existant dans le statut général des fonctionnaires entre 2 grands principes, l'un - la liberté d'expression - garanti la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et rappelé en préembule de la Constitution de la Vè République, l'autre - le devoir de réserve - institué par la juriprudence du Conseil d'Etat depuis 1935 (arrêt CE, 15 janvier 1935, Bouzanquet, Rec. p 44).



L'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen édicte en effet que " la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par Loi ". L'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires garantit d'ailleurs " la liberté d'opinion au fonctionnaire ". Néanmoins, le droit administratif français impose un principe fondamental d'obligation de réserve à tout agent de droit public (fonctionnaire ou non), en tout temps et en tout lieu, même en dehors de l'exercice de ses fonctions. On peut définir ce principe comme l'obligation d'observer "une certaine retenue dans l'extériorisation des opinions des fonctionnaires sous peine de diminution de la notation et/ou de sanctions disciplinaires" (1) Si cette obligation ne figure pas expressément dans l'actuel statut général des fonctionnaires, elle a, en revanche, été consacrée par la jurisprudence dès 1935 (C.E. 11 janvier 1935, BOUZANQUET, Rec. p. 41) et a, depuis, été constamment réaffirmée (C.E. 28 juillet 1993, Mme MARCHAND, Rec. p. 248 ; C.A.A. de Nancy, 29 juin 1995, MARTIN, Rec, p. 866). Elle revêt un grand intérêt pratique dans la mesure où elle recouvre une grande variété d'hypothèses à l'occasion desquelles l'administration a eu matière à infliger sanctions disciplinaires et le juge saisi de celles-ci, dans l'exercice de son pouvoir de contrôle, a pu préciser ce qui peut être considéré comme des manquements à l'obligation de réserve.
S'il n'y a guère de difficulté à qualifier comme tel un comportement qui tombe sous le coup de la loi pénale du fait de sa gravité, comme, par exemple, des propos diffamatoires, mettant en cause d'autres fonctionnaires ainsi que l'organisation des services publics (C.E. 11 février 1953, TOURE-ALHONSSEINI, Rec. p. 709) ou l'offense faite au chef de l'Etat (C.E. 10 janvier 1969, MELERO, Rec. p. 24), dans la plupart des autres cas, il y a lieu de se référer à l'ensemble des circonstances de l'affaire. Pour ne pas s'étendre sur des cas peu probables en matière de blog, nous pouvons les classer grosso modo selon 3 axes:
- L'appréciation peut se fonder sur le niveau hiérarchique du fonctionnaire.
En effet, l'obligation de réserve est d'autant plus sévère que le grade du fonctionnaire est plus élevé (C.E. Ass. 13 mars 1953, TEISSIER, Rec. p. 133 - C.E. 10 mars, 1971, JANNES, Rec. p. 202).
- L'appréciation de la gravité du manquement peut aussi reposer sur la nature des fonctions exercées.
- Enfin, l'appréciation de la gravité du manquement peut également tenir compte du lieu d'expression des opinions.



Or le développement des blogs comme moyen de communication public et l'engouement qu'il suscite chez les fonctionnaires - dont je suis - repose avec force la question de la limite des propos qui peuvent y être tenus. Le 24 octobre 2006, le député UMP de l'Hérault Robert Lecou a ainsi adressé une question parlementaire au ministre de la fonction publique sur le sujet des blogs de fonctionnaires. Il demandait au ministre de préciser sa position sur les conditions dans lesquelles un fonctionnaire peut tenir un blog sur Internet. La réponse, publiée au journal officiel du 30 janvier 2007, n'apporte hélas aucune réponse satisfaisante à ce sujet. Elle ne fait que rappeler les principes évoqués ci-dessus - le ministre rappelle en effet que le devoir de réserve "ne connaît aucune dérogation, mais doit être conciliée avec la liberté d'opinion, et celle, corrélative à la première, de l'expression de ces opinions". Rien que l'on ne savait donc déjà. Et de conclure "En tout état de cause, il appartient à l'autorité hiérarchique dont dépend l'agent d'apprécier si un manquement à l'obligation de réserve a été commis et, le cas échéant, d'engager une procédure disciplinaire". L'art d'enfoncer des portes ouvertes, sans avoir vraiment répondu à la question...
Le problème reste donc entier. Toutefois, le Conseil d'Etat lui-même n'a eu de cesse d'assouplir sa jurisprudence. L'appréciation de l'obligation de réserve s'avère particulièrement difficile selon que l'on traite le cas d'un agent titularisé ou d'un fonctionnaire stagiaire (ex: cas des élèves à l'École nationale d'administration face aux médias). De même, le juge administratif peut se montrer d'autant plus clément que le fonctionnaire est éloigné des cabinets ministériels ou qu'il ne fait pas partie des hautes fonctions publiques.


Mais l'arrêt Malero cité plus haut ne manque pas de susciter l'intérêt suivant: un fonctionnaire peut-il, sur un blog, critiquer la politique du président de la République? En clair, après avoir chargé de façon ironique la candidate du PS, puis-je faire de même avec Nicolas Sarkozy (qui nous sert accessoirement de président)?
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Assemblée nationale : questions 12ème législature Question N° : 107547 de M. Lecou Robert (Union pour un Mouvement Populaire - Hérault) Ministère interrogé : fonction publique
Ministère attributaire : fonction publique
Question publiée au JO le : 24/10/2006 page : 10978
Réponse publiée au JO le : 30/01/2007 page : 1101 Rubrique : fonctionnaires et agents publics
Tête d'analyse : obligation de réserve
Analyse : blogs sur Internet
Texte de la QUESTION :
M. Robert Lecou attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique sur le développement important des journaux personnels sur Internet, appelés « blogs ». Ce nouveau moyen de communication et d'échange connaît un grand succès et des fonctionnaires ont ouvert, à titre purement personnel, des blogs où ils relatent leur vécu professionnel, leurs attentes, leurs joies et leurs déceptions. Récemment, deux blogs dont les auteurs étaient connus uniquement sous leur pseudonyme, celui d'un inspecteur du travail et celui d'un policier, ont fermé, l'un sur injonction de sa hiérarchie, l'autre préférant avoir une position officielle de l'administration avant de continuer. Il semble qu'il existe dans ce domaine une incertitude qu'il convient de lever, pour concilier la liberté d'expression et les obligations, notamment de réserve, qui peuvent incomber à un fonctionnaire en activité. Il lui demande donc sa doctrine sur les conditions dans lesquelles des fonctionnaires peuvent tenir un blog sur Internet.
Texte de la REPONSE :
L'obligation de réserve, qui contraint les agents publics à observer une retenue dans l'expression de leurs opinions, notamment politiques, sous peine de s'exposer à une sanction disciplinaire, ne figure pas explicitement dans les lois statutaires relatives à la fonction publique. Il s'agit d'une création jurisprudentielle, reprise dans certains statuts particuliers, tels les statuts des magistrats, des militaires, des policiers... Cette obligation ne connaît aucune dérogation, mais doit être conciliée avec la liberté d'opinion, et celle, corrélative à la première, de l'expression de ces opinions, reconnue aux fonctionnaires à l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. L'appréciation du comportement d'un agent au regard de cette obligation varie selon plusieurs critères dégagés par la jurisprudence du Conseil d'Etat, parmi lesquels figurent la nature des fonctions et le rang dans la hiérarchie de l'agent, ainsi que les circonstances et le contexte dans lesquels l'agent s'est exprimé, notamment la publicité des propos. Il est à noter que la même jurisprudence étend l'obligation de réserve au comportement général des fonctionnaires, qu'ils agissent à l'intérieur ou en dehors du service. Dans le cas particulier du web log, ou blog, qui peut être défini comme un journal personnel sur Internet, la publicité des propos ne fait aucun doute. Tout va dépendre alors du contenu du blog. Son auteur, fonctionnaire, doit en effet observer, y compris dans ses écrits, un comportement empreint de dignité, ce qui, a priori, n'est pas incompatible avec le respect de sa liberté d'expression. En tout état de cause, il appartient à l'autorité hiérarchique dont dépend l'agent d'apprécier si un manquement à l'obligation de réserve a été commis et, le cas échéant, d'engager une procédure disciplinaire.



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(1) Wikipedia, article "Devoir de Réserve"


Sources:

Circulaire DAGEMO/BCG n°99-01 du 5 janvier 1999 relative aux droits et obligations des fonctionnaires et agents publics de l'administration du travail de l'emploi et de la formation professionnelle dans leurs relations avec les médias

Légifrance, loi du 13 juillet 1983

Journal officiel du 30 janvier 2007 (page 1101 pour ceux que ça intéresse).

2 commentaires:

Nat a dit…

Bon et bien si j'ai bien tout compris et bien lu...Sachant qu'en plus suis malade et legerement à l'ouest ( j'veux dire que là y'a des defaillances physiques et cerebrales qui s'explique par 1 leger etat fievreux!! )
Tu peux critiquer notre president du moment que ta critique reste digne et aussi que ton superieur n'est pas 1 admirateur ebahi de Sarkosy!!

Bon le cas serait encore plus à discuter si tu etais militaire parce que là la liberté d'opinion est encore plus stricte. ( je connais 1 peu avec mon papa )

En tout cas felicitation me suis j'ai pas autant lu 1 truc aussi "tricky" depuis 1 bout de tps!!

Mais sinon j'peux te pourrir notre president pour pas 1 sou et avec plaisir si ça t'arrange.
Bon mais ce sera pas forcement trés intellectuel moi j'bosse à Jo la frite hein dc bon faut pas attendre de miracles...

Papa Fab a dit…

"Mais sinon j'peux te pourrir notre president pour pas 1 sou et avec plaisir si ça t'arrange."
Je t'en laisse le loisir et te fais entièrement confiance! ;-)

"Bon mais ce sera pas forcement trés intellectuel "
On s'en tape!! Pas besoin de paquet cadeau et de belles lettres!